jeudi 2 octobre 2025

Etude comparative : L’adversaire (2002), de Nicole Garcia / L’emploi du temps (2001), de Laurent Cantet

 

De quoi en faire un Romand…

« Il y a pire que d’être démasqué, c’est de ne pas être démasqué. »

Rappel des faits : début janvier 1993, un dénommé Jean-Claude Romand tue femme, enfants, parents et tente en vain de se suicider, après les avoir escroqués et leur avoir fait croire pendant près de vingt ans qu’il était médecin à l’OMS, son mensonge étant sur le point d’être découvert. De ce fait divers, l’un des plus incroyables de l’histoire de France moderne entre ceux du « petit Grégory » et de Dupont de Ligonnès, se sont inspirés deux films sortis au début de ce siècle à quelques mois d’intervalle : L’adversaire de Nicole Garcia et L’emploi du temps de Laurent Cantet. En dehors des paysages enneigés, de l’atmosphère pesante (un peu plus dans le Cantet) surlignée par des musiques lancinantes ou emphatiques (en même temps, c’est un peu le rôle des musiques de film) et des inévitables scènes d’errance sans but dans les hôtels ou sur les aires d’autoroute, peu de choses en commun, pourtant, entre les deux œuvres. Le premier est une quasi reconstitution, brillante mais trop appliquée (« mainstream », quoi), du fait divers là où le second ne fait que s’en inspirer et est à classer dans le registre du film d’auteur à portée politique. Le film de Nicole Garcia suit donc scrupuleusement le roman éponyme d’Emmanuel Carrère, dont il est l’adaptation, dans une structure éclatée, « à la Citizen Kane » (les dépositions à la police de Cluzet et Devos), entre flashbacks et temps réel. Daniel Auteuil, parfait, trouve là l’un de ses meilleurs rôles. Plus intéressant est néanmoins L’emploi du temps de Laurent Cantet, talentueux réalisateur précocement disparu en 2024 à seulement 63 ans. Il poursuit ici une œuvre éminemment politique, après Ressources humaines en 1999 et avant Entre les murs en 2008, qui obtiendra la Palme d’or à Cannes. D’ailleurs, Serge Livrozet, l’un des acteurs du film, était un anarchiste patenté. En dehors de Karin Viard dans le rôle de l’épouse, le reste du casting est constitué de parfaits inconnus. C’est Aurélien Recoing, sorte de sosie français de Kevin Spacey, qui fût chargé d’incarner ce cadre qui cache son licenciement à ses proches et s’invente de toutes pièces un emploi du côté de Genève, vivant du prêt de son père pour l’achat fictif d’un appartement et d’escroqueries (de faux placements financiers proposés à d’anciennes connaissances professionnelles). Il s’en sort formidablement bien, en particulier lors du final où toute la fragilité de son personnage, prisonnier de son mensonge, ressort face aux regards inquisiteurs de sa famille (les enfants, ceux de Cantet lui-même, sont aussi très justes dans cette scène). Si point de carnage et contrairement aux apparences, pas de « happy end » ici non plus, avec une scène finale d’une tristesse infinie (comme l’ensemble du métrage) et d’une violence sourde, assimilable à un « suicide métaphysique » (pour reprendre le terme de Cantet dans les bonus) : Recoing, impassible, passant un entretien d’embauche devant un DRH qui débite le traditionnel jargon d’entreprise, signe de son retour dans le « droit chemin » du monde du travail. Puissant.

   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire