dimanche 6 juillet 2025

La cérémonie (1995), de Claude Chabrol

 

« Il est à Mélinda, c’est Jérémie qui lui a offert pour son anniversaire. » - « Ben justement, elle n’en aura plus besoin. »

C’est l’histoire de Sophie (Sandrine Bonnaire), qui est engagée comme domestique (oui, « encore » en ce 20ème siècle finissant… Ils voudraient pas qu’on les aide aussi à se torcher, non ?) dans la demeure bretonne de la famille Lelièvre (Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset, Virginie Ledoyen et Valentin Merlet). Elle se lie d’amitié avec Jeanne (Isabelle Huppert), la postière du village, qui voue une détestation forcenée à cette famille (sentiment réciproque pour ce qui est du père de famille, qui a constaté son insolence et son incompétence) et plus généralement aux bourgeois. Peu à peu, cette dernière monte Sophie contre ses employeurs. On apprend aussi que les deux femmes ont un passé trouble.

Je l’avoue sans honte : La cérémonie, ou plus précisément son atroce et gerbant épilogue, m’a bien plus traumatisé, ou du moins hanté durablement après visionnage, que nombre de films d’horreur ou même Seven, Shining, Psychose ou Les dents de la mer, classiques de ma DVDthèque depuis « digérés ». Sans doute car l’horreur se déploie ici dans un cadre plus réaliste et qu’elle y est glaçante. Il est vrai aussi que je suis d’un naturel (très) sensible et ça ne s’arrange pas avec l’âge, bien au contraire. Quoi qu’il en soit, qui aurait cru que ce sentiment d’effroi puisse surgir d’une œuvre du jovial Claude Chabrol, figure de proue de la fameuse (et fumeuse ?) « Nouvelle Vague » dont il disait qu’« il n’y a pas de Nouvelle Vague, il n’y a que la mer » et fin observateur (et peintre) de l’univers feutré de la petite bourgeoisie de province ? Quoique, en jetant un coup d’œil à sa foisonnante filmographie, on ne s’en étonnera finalement pas tant que ça (Que la bête meure, Le boucher, Violette Nozière, Les fantômes du chapelier, L’enfer…Du déjà bien « flippant »).

Mais pour tout dire, je n’y crois pas tellement, à cette histoire. Ce n’est pas moi le psy, c’est Caroline Eliacheff, coscénariste, mais je trouve qu’il manque une gradation dans la tension, une ou deux scènes supplémentaires pouvant « expliquer » le passage à l’acte. A aucun moment dans le film, on ne s’attend à voir les deux femmes sombrer dans la folie meurtrière, même quelques instants avant le drame. Les Lelièvre ne sont pas particulièrement odieux, notamment Virginie Ledoyen, très prévenante et s’ils se laissent parfois aller à quelques remarques blessantes en privé, c’est davantage par réflexe de classe que par réelle méchanceté. Et puis j’aurais vu l’explosion de cette rage contenue s’accompagner d’une intensité vocale et sonore ad hoc. Or, pas du tout, les deux femmes sont d’une froideur, d’un détachement, d’un cynisme inouïs, comme si elles accomplissaient un acte tout à fait banal et anodin. Là est d'ailleurs peut-être le plus choquant. Les seules émotions qui transparaissent chez Bonnaire sont la peur panique lorsqu’elle est directement confrontée à son handicap (elle est analphabète, c’est justement cette découverte par Ledoyen qui sera le déclencheur de l’engrenage meurtrier) et quelquefois la joie avec Huppert. Sinon, elle donne du « je sais pas », « j’ai compris » ou du « bien Monsieur / Madame / Mademoiselle » à tire-larigot. Huppert (César de la Meilleure actrice, son premier, elle en obtiendra un autre en 2017 pour le Elle de Verhoeven), elle, est plus expressive et dévergondée, plus sournoise (et toxique !) aussi.

Le film, librement inspiré de la célèbre « affaire des sœurs Papin » de 1933 (j’invite ceux qui pensent que la violence est l’apanage de notre société contemporaine à y jeter un… œil, c’est le cas de le dire…), a beaucoup été « vendu » comme le « dernier film marxiste ». Soit. Les différences de classes sociales sont ici exprimées, voire surlignées, par le prisme des goûts culturels : aux bourges l’opéra et la littérature, aux prolos les films commerciaux (« avec Paul Newman ») et la « télé-poubelle ». Mais il y a d’autres thématiques, comme l’effet d’entrainement avec l’attitude « pousse-au-crime » insidieusement instillée par le personnage d’Huppert. J’ajouterais aussi le lesbianisme entre les deux héroïnes, qui m’apparait sinon évident, au moins envisageable en filigrane (rires sur la couette, baisers sur la joue appuyés).

J’ai bien fait de revoir le film et surtout de lire sa fiche Wikipedia car un élément du final m’avait complètement échappé lors de mon premier visionnage. En effet, je n’avais pas saisi que le radio-cassette qu’emporte Huppert après le carnage avait enregistré son aparté avec Bonnaire à l’issue de celui-ci (les Lelièvre ayant souhaité enregistrer l’opéra de Mozart qui passait à la télé à ce moment-là). Ainsi, je pensais que la police, retrouvant l’appareil dans sa voiture accidentée, lui ferait porter l’entière responsabilité du crime à titre posthume, Bonnaire s’en tirant à bon compte. Mais avec l’enregistrement de la discussion des deux femmes, signant leur complicité, c’est différent. Une fin morale, donc, l’une mourant dans un accident de voiture, l’autre n’échappant vraisemblablement pas à une future interpellation mais bien trouvée grâce à l’astuce du radio-cassette et suffisamment implicite.

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